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Une vérité intermédiaire dans la confusion de l'inflation

BERKELEY – L’obsession de l’inflation dure depuis trois ans précisément parmi la profession économique. La dernière fois que l’inflation de l’indice des prix à la consommation aux États-Unis (ensemble des produits, variation en pourcentage sur 12 mois) s’est située au niveau ou en dessous de l’objectif de 2% fixé par la Réserve fédérale, c’était en février 2021, il y a exactement 36 mois.

Cet épisode récent d’inflation supérieure à l’objectif présente actuellement plusieurs signes semblant indiquer sa fin, même si rien n’est certain en la matière. Un nouveau choc – d’éventuelles secousses sur les marchés financiers, ou un événement géopolitique majeur – pourrait encore anéantir l’actuelle trajectoire de désinflation. Il n’en demeure pas moins que, pour l’heure, cette trajectoire semble se diriger vers les 2%.

On pourrait espérer avoir tiré quelques enseignements de ces trois années douloureuses. Par le passé, de fortes augmentations de prix ont conduit à des progrès dans la gestion de l’inflation. Certains épisodes nous ont enseigné l’importance de préserver l’indépendance des banques centrales, afin qu’elles puissent réagir sans être entravées par des considérations politiques. D’autres nous ont appris la nécessité de voir les banques centrales établir une hiérarchie des priorités politiques, et communiquer ces priorités aux marchés financiers ainsi qu’au public.

Or, cette fois, il n’est pas certain que quelque enseignement ait été tiré. La réflexion demeure en effet confuse autour des causes de l’inflation récente, et des raisons pour lesquelles les augmentations de prix semblent actuellement s’atténuer.

La principale confusion concerne le rôle de la Fed. Mérite-t-elle qu’on lui reproche l’augmentation de l’inflation observée depuis le début de l’année 2021, et qu’on lui attribue le crédit de la récente atténuation de celle-ci ?

Pour certains, l’accélération de l’inflation n’a aucunement résulté de la politique monétaire, mais plutôt de chocs d’offre : baisses de la participation à la main-d’œuvre en raison du COVID-19, perturbations sur les chaînes d'approvisionnement, et pénuries énergétiques. Ils considèrent que la Fed a réagi certes lentement, mais judicieusement, et qu’une réaction plus précoce n’aurait pas permis d’améliorer la disponibilité des semiconducteurs, ou de maîtriser l’inflation causée par les pénuries d’intrants. Une réaction trop rapide n’aurait fait qu’aggraver la récession économique qui a commencé à se dessiner en 2020 et début 2021.

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Dans le même ordre d’idées, certains considèrent que la Fed n’a joué qu’un rôle minime dans la récente atténuation de l’inflation. Si l’inflation a diminué une fois réparées les chaînes d'approvisionnement qui avaient été brisées, et une fois de retour les travailleurs écartés de la main-d’œuvre, alors ce résultat favorable aurait été atteint même sans hausse des taux d’intérêt. Par ailleurs, si le principal mode d’action des hausses de taux dans la neutralisation de l’inflation réside dans un effet de réduction des dépenses et d’augmentation du chômage, cet effet ne semble en l’occurrence pas avoir agi : les dépenses demeurent solides, et le chômage se situe à des niveaux historiquement bas.

Certes admissible, cette conception n’en demeure pas moins simpliste. En effet, parallèlement aux chocs d’offre, la demande et les attentes – facteurs que la Fed est pleinement en capacité d’influencer – ont joué un rôle dans le récent épisode d’inflation aux États-Unis.

En raison de l’épidémie de COVID-19, les ménages américains se sont retrouvés avec 30 milliards $ de revenus en moins chaque mois par rapport à une situation économique normale. Toutefois, à travers le CARES Act et le COVID-19 Economic Relief Bill signés par le président Donald Trump en 2020, et le plan de sauvetage américain mis en œuvre par le président Joe Biden début 2021, le gouvernement a fourni 200 milliards $ de réductions d’impôts et d’augmentations des dépenses pour combler ce trou de 30 milliards $ de revenus.

Ces mesures ont limité la détresse parmi les ménages et les entreprises impactés négativement, ce qui est une bonne. D’un autre côté, elles ont très probablement attisé l’inflation, d’autant plus que l’offre était contrainte.

Même si l’on admet qu’une forte demande a participé à l’épisode d’inflation, est-ce réellement la politique monétaire restrictive de la Fed qui l’a conduit à une fin heureuse ? Après tout, l’importante relance budgétaire au premier trimestre 2021 n’a pas duré. L’indicateur Fiscal Impact Measure du Centre Hutchins, qui illustre comment un changement de politique budgétaire influence la croissance du PIB réel, est passé en territoire négatif dès le deuxième trimestre 2021, et il y est resté. Ainsi, peut-être la politique budgétaire a-t-elle à la fois provoqué et résolu le problème de l’inflation.

La principale raison de douter que la Fed ait joué un rôle dans le recul de l’inflation réside en ce que le chômage n’a pas augmenté une fois que les décideurs politiques ont commencé à rehausser les taux d’intérêt. Dans cette conception, pour freiner l’inflation, des taux plus élevés doivent empêcher les entreprises d’investir et d’embaucher, et ainsi dissuader les ménages, nouvellement incertains quant à leurs perspectives, de dépenser comme auparavant.

Cette conception néglige cependant la crédibilité et les canaux de communication de la politique de la banque centrale. La Fed a clairement indiqué, sans aucune ambiguïté, que si l’inflation ne diminuait pas, elle était prête à agir encore davantage, même au prix d’un chômage plus élevé. La Fed a fait savoir qu’elle ne laisserait pas l’inflation persister, ce qui a atténué l’urgence perçue d’une augmentation des salaires. La croissance des salaires s’est effectivement accélérée, mais pas de manière excessive. À son tour, cette modération a empêché une augmentation du chômage, tout en limitant la nécessité pour la Fed d’agir davantage.

L’enseignement à en tirer est par conséquent le suivant : même si la politique monétaire n’explique pas entièrement l’augmentation et l’atténuation de l’inflation, elle n’est pas non plus sans importance, comme voudraient le faire croire certains détracteurs de la Fed.

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